= Chronique Carnets de route
"La Tourette, un couvent comme un chef-d'œuvre"
= Entretien :
"Anaïs Lelièvre, en quête d'espace"
Qualifier la démarche d’Anaïs Lelièvre revient somme toute à s’interroger sur la place de notre corps dans l’espace et à prendre conscience des changements d’états de la nature. Le dessin et le mode de l’installation constituent les deux vecteurs fondamentaux de son travail dans la mise en œuvre d’espaces à habiter qui visent à brouiller tous nos repères. L’artiste instruit ainsi les termes d’un ailleurs inédit, voire innommable, dont l’expérience entraîne le regardeur aux bords d’un vacillement. A la façon quasi rimbaldienne d’une épreuve tout à la fois cognitive et sensible.
ARTTALK - CLAIRE LESTEVEN - mardi 6 oct. 19h
Rencontre et discussion avec Philippe Piguet - critique d'art, commissaire d'expositions et commissaire général de Normandie Impressionniste 2020.
La FabriC Durée : env. 1h30 + d’infos sur www.fondation-salomon.com
/!\ RÉSERVATION OBLIGATOIRE ! contact@fondation-salomon.com |
Le troisième et dernier volet du cycle « Paysages » proposé par la Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon s’achève avec le travail de Claire Lesteven exposé à l’Abbaye - Espace d’art contemporain, du 2 octobre au 20 décembre 2020.
L'artiste décline sa vision du paysage en utilisant des caméras obscurae.
Son travail est le fruit de deux résidences artistiques en 2019. La première au sein de la Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon et de son espace d’exposition – La FabriC – située dans le quartier de Loverchy. La seconde à Flaine où elle a travaillé autour d’une oeuvre conçue par les architectes et designers Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret (Le Refuge Tonneau).
Ici, dans ce territoire en pleine restructuration, contre-point de l’image carte-postale de la cité lacustre, Claire Lesteven nous invite à « voir » le paysage de façon multiple et globale à la fois. Pour cela, elle adapte le principe de sténopé à plusieurs trous, afin de découvrir 360° de réalité extérieure. Une immersion photographique iconoclaste !
Régis Perray a le sens du beau. Celui qui tient tout autant à ces objets qu’il s’approprie, chargés d’histoire et de poussière, qu’à ces savoir-faire auxquels il recourt et qui relèvent de vieilles pratiques artisanales. Aucune nostalgie dans sa démarche, cependant, sinon prospective tant il sait jouer du temps et composer avec les symboles pour surprendre le regard là où il ne s’attend pas à être convoqué. En cela, son œuvre est pleine de surprises, d’esprit et de poésie.
Philippe Piguet
Si, en tant qu’objet de création artistique à part entière, le livre d’artiste est apparu dès 1910 avec les avant-gardes russes, le genre a vraiment trouvé ses marques dans le champ de l’art contemporain au début des années 1960 pour connaître depuis un essor remarqué et remarquable. Reflet de toutes les formes contemporaines de communication, le « livre d’artiste » s’est enrichi de propositions plastiques les plus diverses qui outrepassent allègrement les conventions de l’objet livre pour s’inventer de nouvelles formes. Aperçu historique et entretien avec François Righi.
D’un lieu à l’autre, de l’abbaye St-Jean d’Orbestier à la Croisée du MASC, c’est un ensemble d’œuvres à deux directions qui y ont été réunies. D’une part, une dizaine de pièces s’offrant à voir comme des petits mondes en soi, à la dimension de ces maquettes que réalisent les architectes pour rendre compte visuellement de leurs projets. A leur différence toutefois, les « microcosmes » de Bagot fonctionnent de manière totalement autonome et nécessitent de les découvrir de près, en s’y penchant, en les contournant, comme pour en percer le secret. De l’autre, deux constructions, complémentaires dans leur façon d’habiter l’espace, l’une confinée, l’autre éclatée, structurant celui-ci, invitant le regardeur à la possibilité d’une traversée, sinon d’une déambulation. L’art de Clément Bagot est requis par l’architecture, partant par une puissante relation au corps pour ce qu’il est le vecteur primordial d’une inscription spatiale. Parce que, selon Paul Valéry, « l’espace est un corps imaginaire comme le temps un mouvement fictif », l’expérience de l’œuvre chez Bagot se double d’une réflexion sur le temps. Le binôme espace-temps y trouve d’ailleurs des formulations nourries de sa passion tant pour les actions radicales et quasi déraisonnables de Gordon Matta-Clark que pour la science-fiction et le cinéma, de Jules Verne à Stanley Kubrick et George Lucas. A l’expérience de son travail, la question majeure que pose Bagot est celle de l’implication du spectateur à l’œuvre, de sa capacité à y entrer, mentalement ou physiquement. Sa préoccupation est somme toute de résoudre une interrogation essentielle : comment faire que l’espace de l’œuvre devienne l’espace du spectateur ?
Le choix qu’a fait Clément Bagot de placer ses « microcosmes » à l’abbaye St-Jean d’Orbestier sur des fragments de petits murs en parpaing, disposés çà et là dans l’étendue de la nef, confère au lieu l’allure d’un site archéologique inattendu, dans un rapport d’échelle opposé. L’effet est simultanément renforcé par l’appareil de pierre à cru de la bâtisse, par la nature sableuse du sol, par le côté brut des matériaux employés et par le dispositif d’éclairage ponctuel, directement ciblé sur chacune de ses œuvres, qui les fait vivre, voire les anime. Faites de toutes sortes d’éléments matériels – pièces en plexiglas, transparent ou opaque, morceaux de mètres gradués, agrafes et profilés métalliques, etc. -, celles-ci présentent l’aspect tantôt de stations ou de navettes spatiales, tantôt de mystérieux monuments d’un âge innommable. Il y va du paradoxe d’une temporalité qui mêlerait de façon improbable le passé et le futur au présent du regardeur. Quelque chose d’un temps suspendu – qui fait écho à la mémoire de la bâtisse religieuse – est à l’œuvre dans cette rencontre entre un monde de matériaux et de formes élémentaires et un imaginaire complexe et dense, façon troisième type.
Procédant toutes deux de l’idée de passage – terme commun employé dans leur titre respectif -, les deux imposantes structures installées sous la croisée du patio du musée de l’abbaye Sainte-Croix offre au visiteur l’occasion d’une autre forme d’expérience. Conçues comme des architectures savamment élaborées, faites de l’association de pièces de bois et d’autres métalliques, combinés les unes aux autres, celles-ci déterminent comme des lieux à vivre le temps d’une traversée. Des édifices construits dans l’espace qui, par leur fonction de transition, le structurent différemment, lui confèrent une lecture singulière, partant en proposent une appréhension autre. Ainsi, livrés à l’imaginaire perceptif et expérimental du visiteur, celui-ci fait siens tout à la fois le lieu même de l’exposition et les œuvres qu’il recèle.
Philippe Piguet,
commissaire de l’exposition
[1] - Paul Valéry, Tel Quel, Paris, Gallimard, 1944.
L’exposition qui réunit à la Chapelle de la Visitation Marion Charlet et David Hockney s’inscrit dans le cadre de la programmation annuelle placée sous le label « La peinture, un médium pluriel ». Si cette dernière vise à mettre en exergue un moyen d’expression qui connaît depuis quelques années un certain revival, elle s’applique surtout à faire état de la richesse plastique de l’usage qu’en font les artistes, qu’ils soient peintres, dessinateurs et/ou sculpteurs. L’idée de cette exposition privilégiant la couleur est l’occasion de faire valoir que la peinture en appelle à toutes sortes de médiums et de techniques permettant de jouer et de déjouer les attendus qui, ordinairement, la spécifient.
L’art de Marion Charlet est requis par un imaginaire qui croise le réel dans des compositions richement colorées dont la marque première est d’instruire les termes d’une esthétique où la couleur est tout à la fois le prétexte et le texte. C’est elle qui détermine la construction de chacune de ses peintures et aquarelles, entraînant le motif à la plénitude de sa forme. Entre réalité et fiction, son œuvre décline tout un monde de paysages idéalisés, quasi paradisiaques, qui associent le naturel et l’artificiel en un tout déserté de toute présence humaine. Toutefois, récemment apparue, celle-ci trouve place dans des jeux de figures dansées, isolées ou en groupe, en suspens dans des espaces indéfinis, à dominante bleu opaline, entre apparition et disparition.
L’idée d’associer le travail de celle-ci à la présentation d’une dizaine de dessins sur iPad et iPhone imprimés sur papier de David Hockney témoigne d’abord et avant tout d’une filiation plutôt que d’une influence. Rendu possible grâce à l’amabilité de la Galerie Lelong, à Paris, et à l’accord du Studio Hockney, cette précieuse sélection contribue à nourrir la réflexion sur la peinture et la possibilité de son déploiement. Les œuvres de Hockney présentés à Thonon - qui procèdent de l’utilisation par un peintre des techniques les plus avancées - actent le soin de l’artiste à se saisir du monde qui est à portée de sa main, tous protocoles et tous motifs confondus. Intitulée De la couleur avant toute chose, en écho au poème de Verlaine, l’exposition thononaise s’offrira ainsi à voir comme un hymne à la vie et au simple bonheur d’être.
Philippe Piguet,
commissaire chargé des expositions