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9 avril 2012 1 09 /04 /avril /2012 12:27

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Quatrième et dernière de la saison 2011-2012, l’exposition « Iris Levasseur figures entre-deux » s’inscrit dans le cadre de l’une des quatre thématiques - « Identité/Altérité » - qui rythment la programmation de la Chapelle de la Visitation. La dualité de ce thème trouve sa source dans la célèbre formule d’Arthur Rimbaud proclamant : « Je est un autre ». Elle est ici l’occasion d’aller à la rencontre d’une artiste dont le travail s’attache à la figure dans une relation existentielle au monde qui l’entoure. Les peintures et dessins d’Iris Levasseur témoignent d’un regard sensible sur son environnement immédiat tout en les instruisant d’une dimension universelle. Les compositions dans lesquelles elle met en jeu ses figures réfèrent à des situations d’échanges tendus, parfois violents, de dépositions dramatiques et d’abandons insondables du corps.

Les peintures d’Iris Levasseur ne racontent rien. Elles mettent en scène des personnages dans des espaces et des situations indicibles qui leur confèrent l’apparence d’acteurs à un moment donné de suspension de leurs corps. Ils sont là, sous nos yeux, sans qu’il y ait eu d’avant, ni qu’il y aura d’après. Ils sont là comme des arrêts sur image, pétrifiés et pourtant fluides, inertes et pourtant dans des postures qui sous-tendent l’idée d’une potentielle dynamique. Assis, debout, accroupis, penchés, arqués, à l’équilibre, sur le bord d’un basculement. Isolées ou en groupe, les figures de Levasseur sont terriblement seules. Rarement, elles se touchent et, si c’est le cas, le jeu de multiplication des mains crée un leurre visuel qui perturbe toute lecture relationnelle. De plus leurs visages ne sont jamais pleinement dévoilés ; ils sont tantôt masqués, tantôt détournés, tantôt simplement coupés. Il y a chez l’artiste comme un refus d’indiquer clairement ce que ses personnages regardent, soit en brouillant leur regard dans la matière picturale, soit en le faisant chavirer dans l’abîme de leur intériorité.

Constituées au terme d’un processus savamment élaboré qui en appelle à la photographie comme au dessin, les scènes peintes que s’invente Iris Levasseur témoigne d’un regard proprement politique - au sens premier du mot, celui de la cité –, c’est-à-dire dans cette qualité d’attention à l’autre dont l’image qu’il lui renvoie est une façon de mieux se connaître. Les figures qu’elle brosse sont génériques de leur état. Si elles peuvent renvoyer à certains types identifiables, sinon de figures du moins de comportements précis, elles ne sont jamais envisagées par l’artiste en qualité de portraits. Chez Levasseur, la question du modèle se concentre sur la figure du corps et le traitement pictural de couleurs franches, d’effets de transparence et d’épiphanie qu’elle lui accorde confère à celle-ci une implacable présence.

Tout y est soigneusement mis en scène dans l’élaboration d’une théâtralité au service exclusif de cette représentation du corps. L’artiste travaille selon un protocole très réglé qui en appelle à un réservoir d’images réalisées avec quelques modèles familiers, issus de son entourage, les invitant à prendre des poses qu’elle leur suggère ou qui adviennent, travaillant avec eux comme un metteur en scène avec ses acteurs ; sinon elle saisit ici et là dans la rue des images de situations qui l’interpellent pour la force de leur signification. Par suite, elle opère avec ce matériel toutes sortes de photomontages qu’elle affine potentiellement via l’ordinateur jusqu’à trouver la composition qui l’intéresse. Enfin, elle procède à l’élaboration de l’image retenue suivant un procédé de report de dessins préparatoires déduits de ses images photographiques.

Au final, l’art d’Iris Levasseur s’inscrit dans cette qualité de production qui balance entre l’étrange et l’incongru dans cette qualité esthétique que Baudelaire a magnifiquement formulé en proclamant que « le beau est toujours bizarre. » Ses peintures et ses dessins ne nous laissent pas indifférents parce qu’ils nous interrogent au plus profond de l’être dans la surprise sans cesse revisitée de cette relation fondamentale de soi à l’autre, et vice versa.

Philippe Piguet,

commissaire chargé des expositions.

 

 

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